Ils regardent le monde avec des yeux grands ouverts, lucides, informés. Les jeunes générations ne vivent plus dans l’illusion d’un avenir garanti. Ils grandissent avec, en toile de fond, un horizon troublé par le dérèglement climatique, les effondrements écologiques, les crises énergétiques et les tensions sociales qui en découlent. Face à cette réalité, ils développent un rapport au futur profondément marqué par l’éco-lucidité, cette conscience aiguë de l’état du monde… mais aussi par une peur croissante, intime, parfois écrasante, qui constitue un véritable fardeau psychique.
Ce fardeau a un nom que la psychologie contemporaine commence à peine à intégrer pleinement : l’éco-anxiété. Elle n’est pas une pathologie au sens médical du terme, mais une réponse émotionnelle légitime à une menace perçue comme existentielle. Loin d’un simple stress passager, elle se manifeste par un malaise diffus, un sentiment d’impuissance, des troubles du sommeil, des épisodes d’angoisse, voire une perte d’élan vital. Beaucoup de jeunes témoignent d’un découragement profond, voire d’un refus de se projeter dans un monde perçu comme incertain, instable, voire invivable.
Ce qui distingue cette génération de leurs aînés, ce n’est pas seulement leur anxiété, mais la lucidité qui l’accompagne. Ils savent. Ils lisent les rapports du GIEC, suivent l’actualité environnementale, comprennent les mécanismes systémiques à l’œuvre. Cette capacité à appréhender la complexité de la crise écologique est à la fois une force… et une charge mentale. Car une fois que l’on sait, il devient difficile de faire comme si de rien n’était.
Et pourtant, tout autour d’eux continue comme avant : une société qui encourage la consommation, des discours politiques souvent tièdes, des promesses sans effets tangibles, une dissonance collective face à l’urgence. Ce décalage entre l’état réel du monde et les réponses sociales ou institutionnelles alimente leur détresse. Il provoque un sentiment de solitude, de frustration, et parfois de colère. La peur du futur devient alors une peur silencieuse, mais constante, tapie au creux des décisions quotidiennes : quelle carrière choisir ? Faut-il avoir des enfants ? Est-ce encore possible d’espérer ?
Mais cette peur n’est pas qu’un obstacle. Elle peut devenir le terreau d’un engagement profond, d’un éveil politique, d’une recherche de cohérence dans les choix de vie. On voit émerger une génération qui ne se résigne pas, mais qui tente de réinventer. Agriculture régénérative, activisme climatique, sobriété volontaire, écospiritualité, collectifs d’entraide… Autant de formes de résistance et de résilience. Mais même dans l’action, le fardeau reste là. Lutter ne supprime pas toujours l’angoisse, surtout lorsqu’on a le sentiment de courir contre la montre.
Il est donc essentiel de reconnaître cette tension entre éco-lucidité et peur du futur. Non pas pour pathologiser les jeunes, mais pour les accompagner. Pour créer des espaces où l’on peut parler de ce qui fait mal sans être jugé, sans être renvoyé à une supposée fragilité émotionnelle. Il faut apprendre à accueillir cette peur, à l’écouter, à la transformer. Car elle est aussi l’expression d’un attachement profond au vivant, d’un désir sincère de préserver ce qui peut encore l’être.
Les institutions éducatives, les familles, les professionnels de santé mentale, les médias, les politiques — tous ont un rôle à jouer pour alléger ce fardeau psychique. Cela passe par des actions concrètes pour lutter contre la crise écologique, mais aussi par une prise en charge bienveillante de la santé mentale. Il ne suffit pas de dire aux jeunes de « rester positifs » ; il faut leur montrer que leurs émotions sont valides, que leur engagement a du sens, et que le monde adulte est prêt à assumer ses responsabilités.
Entre peur du futur et éco-lucidité, les jeunes avancent sur une ligne de crête fragile, mais pleine de courage. Ils ne cherchent pas à fuir la réalité, mais à la transformer. Ce dont ils ont besoin, ce n’est pas qu’on leur enlève leurs inquiétudes — c’est qu’on les partage, qu’on les comprenne, et qu’on agisse à leurs côtés.